Dans le n° 161-juillet 2024  - Partie II  16835

Virage domiciliaire : les risques du tête-à-queue...

Dans la chronique précédente nous revenions sur le virage domiciliaire et sur la critique portée par un rapport de l'Igas[1]. Le virage domiciliaire n'est pas ni si simple, ni si bien parti que beaucoup le voudraient. Le soutien à domicile ne se décrète pas.

Il importe d'abord de rappeler combien le logement est un vecteur essentiel d'accompagnement en santé. Le chez soi n'est pas neutre. Le logement participe directement des conditions de santé. Les mouvements en faveur de l'hospitalisation à domicile, hier, et du virage domiciliaire, aujourd'hui, ne peuvent faire l'impasse sur les conditions de vie et de logement, sur l'environnement des personnes, sur la qualité et la densité de services à domicile... En premier lieu, tout simplement parce que les conditions de vie dans un logement participent très directement à la santé des personnes. Pensons, par exemple, aux chutes à domicile, aux effets sur la santé d'une mauvaise aération ou de matériaux anciens... Pensons aussi aux aspects d'accessibilité, à l'espace disponible dans le logement, à l'importance de la lumière naturelle, à la qualité de l'isolation sonore... Rappelons que nous passons plus de 80 % de notre vie entourés de murs... Et souvent plus encore chez les personnes âgées. Dans mon dernier ouvrage, Et si les vieux aussi sauvaient la planète, j'insiste sur le fait que l'adaptation des logements doit se faire, en même temps, en termes ergonomiques et pour faire face aux bouleversements climatiques. Favoriser l'isolation sonore, mais aussi l'isolation thermique, pour l'hiver et pour l'été...

Or, parfois, il peut devenir délétère et ne plus du tout répondre aux besoins des personnes. Le domicile, même adapté, même inclusif, même partagé, n'est pas nécessairement le cadre digne pour une personne en forte perte d'autonomie. Parfois d'ailleurs, dans les échanges que j'ai avec des promoteurs d'habitats de ce type, je discute de ce qui est prévue si, et heureusement ce n'est pas toujours le cas, un des habitants vient à perdre l'essentiel de son autonomie. La réponse n'est pas toujours très affirmée... Les auteurs du rapport de l'Igas ne méconnaissent pas ce risque en notant que les habitats alternatifs ne sont « pas armés pour accompagner des personnes en situation de fragilité importante ».

Une responsabilité collective

Or, les rédacteurs du rapport notent combien les politiques en faveur du domicile n'ont « pas connu d'évolution majeure depuis la création de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) en 2001, aucune modification d'ampleur dans les accompagnements n'ayant permis de rupture avec les tendances de long terme ». Les rédacteurs rappellent aussi que les contraintes et les réalités seront « très hétérogènes » en fonction de caractéristiques démographiques et géographiques.

Sur ce plan, notons que les services à la personne sont des acteurs essentiels à toute politique durable du domicile. Or, ils souffrent d'un manque de personnels qualifiés. La valorisation des métiers et des personnes qui les assurent est un enjeu majeur. Le « virage domicilaire » risque le dérapage incontrôlé tant qu'il y aura un tel manque de professionnels de l'accompagnement à domicile[2]. Signalons que les rapporteurs de l'Igas appellent à « réaffirmer le rôle des services autonomie à domicile (SAD) comme piliers du domicile ».

Mais il importe aussi de prendre en compte les équipements en santé et les professionnels du soin accessibles à proximité du logement. Ou encore de prendre la mesure de la diversité et de la qualité de l'offre de restauration comme des commerces de bouche. Surtout, habiter dans un endroit, c'est aussi y vivre, s'y nourrir, pratiquer ou non, des activités physiques et de loisirs, être en sécurité physique. Les départements et collectivités locales, comme les bailleurs sociaux et les promoteurs sont, de fait, des acteurs de la santé, de la qualité de vie des habitants, de la prévention... Une politique globale du domicile impose de proposer des services et des activités, du soutien à des pratiques de prévention dans des lieux d'accueil collectifs comme à son domicile.

Le soutien à domicile ne se résume pas au soutien du domicile...