Un rapport de l'Igas fait 24 recommandations pour redresser la barre car les conditions ne sont pas réunies pour réussir une politique domiciliaire pour l'arrivée au grand âge des générations nées après-guerre
Virage domiciliaire : pour l'Igas, on n'y arrivera pas dans les 20 ans
Plus de 400 auditions, des visites dans 12 départements, une étude sur la situation au Danemark, des explorations statistiques pour construire des projections de l'offre et de la demande à l'horizon de 2030, 2040 et 2050... L'Inspection générale des affaires sociales, a publié le 29 mars un intéressant (et décourageant !) rapport sur « Lieux de vie et accompagnement des personnes âgées en perte d'autonomie : les défis de la politique domiciliaire - Se sentir chez soi où que l'on soit ». Qui est étoffé d'annexes extrêmement documentées. Les auteurs ont évalué la façon dont l'offre d'habitat et d'accompagnement devrait être structurée pour les personnes que leur situation conduit aujourd'hui à entrer en établissement mais qui pourraient à l'avenir, dans une situation comparable, continuer à être accompagnées à domicile, que ce soit en domicile ordinaire ou alternatif (résidences, colocations Alzheimer...).
A l'issue de leurs « investigations », et dans la perspective de l'arrivée au grand âge des générations nées après-guerre (2030-2050), leur verdict est sans appel : en dépit « des avancées importantes » depuis la loi d'adaptation de la société au vieillissement de 2015, les conditions ne sont pas encore réunies pour réussir dans les 20 ans à venir une politique domiciliaire dans l'accompagnement des personnes âgées en perte d'autonomie, quel que soit leur lieu de vie »- le terme « politique » étant préféré à celui de « virage », plus étroit.
Les constats
Actuellement, on estime que plus des trois quarts des personnes âgées en perte d'autonomie vivent à leur domicile et non en Ehpad. Parmi celles lourdement dépendantes (GIR 1-2), c'est plus de la moitié, et ce, au prix d'une très forte mobilisation de l'entourage (36 heures hebdomadaires contre moins de 9 heures pour les professionnels).
Mais alors qu'ils sont une clé de voûte du maintien en domicile ordinaire, le nombre des aidants va baisser : hausse de la déconjugalisation, baisse du nombre d'enfants, distance géographique croissante entre enfants et parents.... Par ailleurs, le domicile ordinaire est fortement consommateur en ressources humaines, alors que la France va en manquer (et en manque déjà). Il coûte relativement cher, et potentiellement plus cher que l'institution (temps de trajet des personnels, absence d'économies d'échelle...). De fait, si le maintien au domicile de la personne est l'objectif premier, il est des situations où l'accueil en institution ou dans un lieu intermédiaire est préférable dans l'intérêt même de la personne.
Or, les domiciles alternatifs ne représentent qu'une part très marginale des lieux de vie des personnes âgées dépendantes (autour de 2%) mais un quart des personnes âgées vivant en résidence autonomie est en situation de perte d'autonomie (GIR 1 à 4). De manière plus générale, les domiciles alternatifs posent des questions d'adéquation entre les cibles de publics affichés et les besoins réels des personnes.
Enfin, concernant les personnes âgées dépendantes en établissement, malgré un âge d'entrée en Ehpad sans cesse plus élevé, la durée moyenne de séjour en Ehpad diminue très peu et reste proche de deux années.
6 axes pour 24 recommandations
Pour l'Inspection générale, l'objectif domiciliaire appelle une forte mobilisation des pouvoirs publics vers les domiciles, ordinaire et alternatif, autant que vers les Ehpad, faute de quoi diverses conséquences, déjà observables par endroits, sont à craindre : dégradation des conditions de vie et d'accompagnement des personnes âgées en perte d'autonomie, saturation des Ehpad, report de charge vers les familles, pénibilité accrue des métiers du grand âge, développement de modes de prise en charge peu encadrés, risques de maltraitance et d'abus de faiblesse, y compris à domicile, mise en tension du système de soin...
Elle formule 24 recommandations ventilées en 6 axes.
Axe 1 Privilégier la notion de « politique de renforcement du soutien à domicile » à celle de « virage domiciliaire » ;
Axe 2 Préserver et rénover le parc existant des résidences autonomie et lancer un plan de construction de 100 000 logements nouveaux en résidence autonomie à l'horizon 2030 ;
Axe 3 Sécuriser les conditions de développement et de fonctionnement des habitats alternatifs et les préparer à l'accueil de personnes âgées plus en difficulté ;
Axe 4 Engager un plan national de transformation domiciliaire des Ehpad et cibler des plans de construction de places dans, possiblement, une trentaine de départements ;
Axe 5 Structurer localement et nationalement le pilotage de l'offre par type d'habitat ;
Axe 6 Renforcer la prévention pour assurer une vie durablement de qualité.
La 24e et dernière recommandation de l'Igas est d'« organiser en vue d'une prochaine loi grand âge ou d'une loi de programmation sur le financement de la perte d'autonomie, une concertation citoyenne sur le modèle de financement de la dépendance (ressources publiques, ressources privées) ainsi qu'une conférence financière entre l'État, les départements et la sécurité sociale sur la répartition des dépenses publiques liées au grand âge ». Encore !
Elle écrit aussi pourtant que « la politique domiciliaire de l'accompagnement des personnes âgées requiert un effort capacitaire massif tant vers les domiciles ordinaires qu'en résidences, habitats inclusifs et Ehpad ». Et 20 ans, c'est déjà demain.
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