Musée du quai Branly (Paris), 14h30, un jour de décembre. Un petit groupe discute devant un totem Maori. Il y a Georges et Laurence, Francis et Nathalie, Lise et Emmanuelle, Cécilia et Nathalie, et d'autres encore. Des visiteurs ordinaires ? Oui et non. Dans chaque tandem, une personne est atteinte de la maladie d'Alzheimer, l'autre est un salarié des laboratoires MSD-France (filiale de Merck & Co.). Et au milieu d'eux, Cindy Barotte, directrice de l'association Artz (Action Culturelle Alzheimer) et maitresse d'oeuvre du dispositif.

A la base, une conviction : " Les malades ont un besoin criant d'activités, d'intégration sociale, explique Cindy Barotte. Dans un musée, ils développent leur curiosité sur le monde extérieur, ils se sentent valorisés, plus présents. Commenter une oeuvre d'art, c'est valorisant !" Le programme a déjà été mis en oeuvre avec l'hôpital Bretonneau, l'Hôpital Charles-Foix,... dans un partenariat avec le Musée du Louvre. Cette fois Artz, membre d'une plate-forme de répit, s'adresse aux personnes à domicile _ deux-tiers des malades vivent chez eux_ et collabore avec le musée du quai Branly. Le Musée conseille sur le parcours, fournit les informations sur les oeuvres, offre la gratuité des entrées et de la parole devant les oeuvres.

La légende de l'ours

Pour l'accompagnement, Artz s'appuie une nouvelle fois sur le mécénat de compétences de MSD-France. Le laboratoire accorde 20 heures annuelles aux salariés volontaires (ils suivent en plus une formation de trois jours chez Artz, sur leur temps de travail). Ici les bénévoles s'engagent pour un cycle de quatre visites au musée du quai Branly *. Leur mission ? Accompagner la personne au musée, échanger avec elle durant la visite et la ramener chez elle.
Mais revenons à nos visiteurs. Equipé de chaises pliantes - la visite dure deux heures- le groupe avance vers le département des Amériques. " Nous sommes déjà passés là ", remarque une personne malade. La première halte se fait devant le " Mât héraldique, dit Mât de l'ours- Canada - 1880 ". Pour Cindy Barotte, mieux vaut laisser la parole libre. " Que voyez-vous ? ", commence-t-elle. " Un ours et il a envie de nous mordre !" dit Lise, " C'est un bel objet, il a des grands yeux ", enchaîne Georges. La discussion est lancée, spontanée, sereine, drôle aussi. " Quand on s'adresse à ce qui ne manque pas, tout se passe bien ", aime à dire la créatrice d'Artz. Pour l'heure, un genou à terre, elle raconte la légende de l'ours. Le public est tout ouï. Debout derrière " leur " personne âgée, les bénévoles participent... avec doigté. " Nous nous tenons derrière la personne pour ne pas capter son attention, confie une salariée de MSD-France, et si elle tarde à répondre à une question, nous ne répondons pas à sa place ! Ce n'est pas facile... " " C'est une expérience enrichissante, commente une autre. J'avais besoin de repères, mon beau-frère est atteint d'une maladie neuro-dégénérative."

" C'est comme une prière... "

Le groupe est arrivé devant une gigantesque coiffure Sioux. " Pas très pratique ! ", lâche Francis, le boute-en-train du groupe. Cindy parle du Nebraska, des traditions. Cécilia fait un commentaire à Nathalie, qui transmet la remarque au groupe. Elle sait que la maladie est invalidante dans les relations sociales et que Cécilia manque désormais de confiance en elle...

Nouvel arrêt devant un escalier en bois surmonté d'une tête. " C'est comme une prière... ", dit Georges. " C'est très beau ", murmure Lise. Le groupe parle symboles, ancêtres puis repart. De quoi s'agit-il maintenant ? Des nattes à fourmis des Wayanas ! Cindy explique les épreuves initiatiques auxquelles les jeunes étaient soumis entre dix et vingt ans : venin, spasmes, renouvellement de l'énergie vitale, intégration des qualités de l'animal,... Cindy Barotte rebondit sur la vie quotidienne et sollicite chacun en douceur : Lise confie sa peur des araignées.

A 16h30, la visite se termine. " Le cycle fera l'objet d'une évaluation, conclut Cindy Barotte. Les aidants témoignent que les bénéfices durent après la visite et ils nous demandent une suite. Notre objectif est de maintenir cet état, d'éviter le retour dans le repli." Si la collaboration avec le musée du quai Branly va se pérenniser en 2012, Artz souhaite étendre ces programmes à d'autres mécènes et à d'autres musées. Qu'on se le dise !

* Un programme pilote a été réalisé en 2009

La parole aux partenaires :

MSD-France

Lydie Roux, directrice de la communication : " MSD est membre fondateur de la Fondation de coopération scientifique sur la maladie d'Alzheimer (cf. Plan Alzheimer). Nous cherchions une façon d'impliquer les salariés. Florence Lustman, déléguée au suivi du plan Alzheimer, nous a parlé de l'art-thérapie. Nous avons visionné le DVD " Alzheimer, les thérapies non-médicamenteuses"* et aussitôt contacté Artz. L'énergie et le projet de Cindy Barotte nous ont séduits et les salariés ont suivi ! En rencontrant des patients, ils trouvent un sens supplémentaire à leur travail. A ce jour les 40 salariés forment une vraie communauté. L'un d'eux s'est même formé pour accompagner des visites. "
* Coproducteurs : French Connection Films, La Fondation Hilgos

Musée du quai Branly

Fabrice Casadebaig, directeur des publics. " Cette première expérience entre dans notre stratégie d'accessibilité maximale du musée à tous les publics et en particulier à ceux qui ont plus de difficultés pour accéder aux oeuvres que nous présentons. Certains de nos conférenciers et conteurs ont suivi les groupes pour se sensibiliser à la maladie et aux techniques utilisées pour solliciter et maintenir l'attention. Ces visites vont être poursuivies en 2012, puis évaluées. Cela correspond à la philosophie de dialogue et d'échange du musée. "

Artz

Artz propose des expositions itinérantes, des sorties culturelles et des activités artistiques, et veut faire avancer la recherche sur la maladie d'Alzheimer et les pathologies apparentées. Dans le cadre de la mesure 1 du plan Alzheimer, elle participe à la modélisation de formules de répit et d'accompagnement des aidants familiaux.

http://www.associationartz.org/